Dans les plans d’investissement cofinancés par la Banque mondiale et des agences comme l’AFD il y a toujours une rubrique obligatoire « coûts d’opportunité ». Il s’agit de prendre dans le calcul du projet les coûts d’abandon d’un autre projet sur les mêmes ressources, typiquement la terre et les outils, le travail humain, la marge de crédit et l’énergie.
Par exemple, si vous construisez une ferme de panneaux solaires, il n’est plus possible de construire une ferme agricole moderne au même endroit. La perte de revenus ou d’autres avantages comme la substitution des importations ou l’autonomie alimentaire générée par la ferme est un coût pour le projet solaire.
Ce coût d’opportunité est comptabilisé par les promoteurs du projet dans le bilan socio-économique obligatoire et versé au dossier d’enquête publique comme… un ratio aléatoire. Dans les fait, le coût du projet est majoré par un chiffre dont on ne connaît pas l’origine et exposé noir sur blanc dans les conclusions du rapport des commissaires généraux à l’investissement (CGI) en ces termes : « Dans le scénario central du projet GPSO, comprenant les LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, ainsi que les aménagements des accès ferroviaires aux gares, suivant un phasage 2024/2027, la Valeur actualisée nette (VAN) des bénéfices socio-économiques est de 2,6 Md d’euros après application d’un coût d’opportunité des fonds publics – COFP – de 1,3« .
1,3 est donc un chiffre estimé valable par les experts économiques pour compter combien cela coûte à la société de perdre son potentiel de transition écologique future, pourtant affirmée comme ambition de la Région dans sa feuille de route NéoTerra. En effet cette feuille de route affirme la nécessité de préserver tant les terres agricoles et forestière que la biodiversité pour permettre l’alimentation résiliente du territoire en agroécologie. Hors le GPSO s’apprête à détruire 4800 hectares de terre sur lesquelles ladite transition devrait s’opérer sinon. Ce coût d’opportunité paraît difficilement synthétisable en ce chiffre de « 1,3 », COFP ou pas.
Pourquoi donc ne parle-t-on pas des alternatives à ce grand projet, ou de l’option de « ne rien faire » quantifié comme coût d’opportunité ? Par exemple la perte de revenu des vignerons et du tourisme due au paysage découpé dans le Sauternes n’est nulle part quantifiée. La perte du biotope du Ciron pour la recherche et la biodiversité, pas dans le plan. Et l’abandon d’un projet de ligne directe vers l’Espagne, si besoin avéré, disponible moins cher et beaucoup plus tôt, est une perte à prendre en compte sur le projet LGV.
L’investissement nécessaire dans les petites lignes, les trains du quotidien, affirmé comme une priorité tant par le CESER Nouvelle-Aquitaine que par le Haut Conseil pour le Climat dans son rapport 2023, avec le développement des trains de nuit et des trains d’équilibre du territoire (Intercités), est également un coût d’opportunité non pris en compte. En effet, les 14 milliards d’euros investis dans les lignes nouvelles seront autant d’argent en moins pour le reste du service public de transport, les finances des collectivités n’étant pas extensible sur ce point. Aux experts économiques de souligner alors que « ce prélèvement fiscal pour 40 ans aura un effet durable d’éviction de ressources publiques locales aux dépens du développement, pourtant impérieux, de solutions de transport publics de proximité qui manquent précisément aux populations périurbaines et rurales qui vont être fiscalisés pour ces LGV. » [Gilles Savary, tribune 2023].
Les milliards qui coûtent ces lignes rapides seront déboursés par l’État bien avant que la ligne ne soit opérationnelle, et cela a deux conséquences :
- Ces fonds ne sont pas investis dans des projets qui génèrent des bénéfices sociétaux plus conséquents et plus tôt ;
- Les seuls bénéficiaires seront les constructeurs et leurs sous-traitants, l’état et les contribuables locaux les grands perdants, car ils payent pour un bénéfice au loin. Il nous semble que l’isolation thermique et la transition écologique et la réindustrialisation avec pour objectif l’autonomie industrielle et énergétique apporteront beaucoup plus de retour sur investissement à l’heure actuelle. Pour les contribuables locaux retraités l’investissement en la santé de proximité est certainement plus bénéfique. Ils sont où ces « couts d’opportunité » ?
Lorsque l’on comptabilise de très grands projets d’investissement public qui engagent plusieurs générations, la simple comptabilité d’entreprise et le calcul coût-bénéfice sont trop myopes.
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